jeudi 19 mars 2015

Les assurances et le tiers-payant

Bonjour à tous,

Avec l'actualité en France, je trouve que c'est le bon moment de parler du tiers-payant. Depuis que je travaille en pharmacie au Québec, j'ai découvert que le tiers-payant ça peut être simple ! Il suffit d'avoir une technologie adaptée. Mais auparavant, je vais décrire les deux types d'assurance.


  • Les deux types d'assurance

Tout d'abord, je vais juste rappeler brièvement les deux types d'assurance médicament au Québec ; il y a le régime public (environ 40% des patients au Québec) et le régime privé (environ 60%). Depuis 2010, il est obligatoire d'avoir une assurance médicament pour chaque québécois.

Les assurances privées sont généralement offertes par les employeurs qui paient une partie des cotisations, ce qui permet une meilleure couverture des médicaments (des princeps par exemple ou des nouveaux médicaments). Certaines assurances privées nécessitent parfois que le médecin remplisse des formulaires pour demander la couverture d'un médicament (si prix +++). Mais de plus en plus de forfaits d'assurance ne couvrent plus que les génériques (si un générique existe, sinon le princeps est couvert).

L'assurance public est offerte pour chaque personne qui n'est pas couverte par une assurance privée ; chaque année, les membres inscrits payent une taxe à la fin de l'année. Contrairement aux assurances privées, le gouvernement du Québec ne couvre que les génériques (et les princeps s'il n'existe pas de générique). Il existe un excédent si le patient ne choisit pas le générique. De plus, beaucoup de médicaments nécessitent que le médecin (ou le pharmacien hospitalier) remplisse un formulaire pour permettre le remboursement du médicament (soit via un code d'exception, soit via une demande de patient d'exception). Quelques exemples pour illustrer :

Prenons un exemple dans le TDAH ; seul le RITALIN (méthylphénidate) à libération immédiate est couvert directement par la RAMQ. Les formes à libération prolongée (RITALIN LP) ne sont couvertes que si le médecin indique un code sur l'ordonnance (SN103) ; ce code signifie qu'un traitement par méthylphénidate à courte durée d'action n'a pas permis un bon contrôle malgré une dose optimale. Ce code doit être inscrit sur l'ordonnance pour que les pharmaciens aient le droit de l'indiquer dans le logiciel informatique.

Un autre exemple est le PLAVIX (clopidogrel) ; pour que le clopidogrel soit couvert par l'assurance publique, le médecin doit indiquer l'un des codes suivants : CV18 ou CV19. Ces codes correspondent chacun à des cas de patients. Par exemple, le CV18 correspond à l'utilisation du clopidogrel pour la prévention des manifestations ischémiques, en association à l'aspirine, chez les personnes pour lesquelles une angioplastie avec ou sans la pose d'un stent a été réalisée. Le CV19 est l'utilisation du clopidogrel pour la prévention secondaire des manifestations vasculaires ischémiques chez les personnes pour lesquelles un antiplaquettaire est indiqué mais chez qui l'aspirine est inefficace, contre-indiquée ou mal tolérée.

Certains codes ont une durée limitée ; toujours dans le cas du clopidogrel, le CV18 est limité est à une seule année. Au delà, le médecin doit remplir un formulaire pour justifier l'utilisation clinique du clopidogrel en bithérapie (aspirine + clopidogrel). Car on sait qu'en pratique, il n'y a que peu de cas qui nécessitent une bithérapie perpétuelle.

Si vous êtes curieux, vous pouvez trouver la liste complète des codes d'exception valable au Québec actuellement en cliquant sur le lien suivant : liste des codes d'exception.

Pour certains médicaments plus chers, ils sont remboursés si le médecin (ou le pharmacien hospitalier) remplit un formulaire avec les renseignements cliniques justifiant l'utilisation du médicament. Prenons l'exemple des anti-TNF alpha ; il existe plusieurs formulaires à remplir selon la pathologie du patient. Vous pouvez voir si dessous une demande pour la polyarthrite rhumatoïde :



Vous pouvez retrouver l'intégralité des formulaires en cliquant sur le lien suivant.

Les patients ayant une assurance privée ne sont pas concernés par ces tracasseries administratives ; les médicaments sont quasiment toujours remboursés (sauf certains très chers qui nécessitent aussi de remplir ce type de documents). Cependant, le coût des médicaments peut être plus élevée pour des patients ayant une assurance privée ; en effet, les patients couverts par l'assurance publique ne payent au maximum que 83 dollars de franchise par mois. Un patient ayant une assurance privée ne peut être couvert qu'à 80% par exemple. Tout dépend du prix que l'on paye chaque mois pour son assurance privée (ou le prix que paye votre employeur, ou l'accord entre l'entreprise et l'assurance privée). Donc dans le cas d'une trithérapie, un patient sur l'assurance publique payera en général moins cher que certains patients ayant une assurance privée.

Il existe un système de franchise pour les assurances. C'est un montant que le patient doit payer, soit au début de l'année, soit sur chaque ordonnance. Il existe souvent un maximum que le patient va payer par mois ou par année et qui varie selon les assurances. Par exemple, l'assurance du gouvernement a une franchise qui varie selon les revenus (de zéro dollars si vous êtes sur l'aide sociale (RSA) à 83 dollars au maximum). D'autres assurances couvrent 100% du prix des médicaments si vous payez un montant initial pour l'année (qui peut varier de 50 à 1000 dollars et plus, selon le coût de votre assurance).

Au final, beaucoup de paperasserie ; souvent on doit demander à un médecin s'il veut rajouter un code d'exception pour qu'un médicament soit couvert (par téléphone ou par fax), ou si une demande d'autorisation a été envoyée pour un patient sur l'assurance publique. On peut faire un suivi via le site internet de l'assurance pour voir si une demande d'autorisation a été envoyée, si elle est en cours de traitement, si elle a été acceptée ou refusée. Les médecins passent en général beaucoup de temps à gérer cette paperasserie !!


  • Le tiers-payant
Ah le tiers-payant en France, ses refus, ses recyclages... Des heures d'activité ennuyeuse à faire pour être sur d'être payé. Ici, cela n'existe pas !!! Pourquoi ? Et bien cas en 2015, avec la fibre optique ou l'ADSL à haut débit, on communique en direct avec les assurances. Et oui c'est tout bête. Pourquoi attendre deux semaines (voire beaucoup plus...) pour recevoir une lettre disant que le remboursement est refusé pour telle ou telle raison obscure (patient a changé de mutuelle sans nous le dire ou on a rentré le mauvais médicament dans le logiciel informatique, ou on s'est trompé dans le numéro de la mutuelle, ou alors le prix n'est pas à jour...). Au Québec, on communique de façon interactive.

Voici un beau schéma qui résume la communication ; il est issu du manuel de facturation de l'assurance publique des pharmaciens disponible en ligne. Mais le fonctionnement repose sur le même principe avec les assurances privées. 



En gros, quand on soumet une ordonnance via l'informatique, on reçoit en quelques SECONDES une réponse de l'assurance ; soit tout va bien, le patient est bien inscrit, le médicament est couvert (directement ou après autorisation). On a juste à faire payer la franchise si applicable et on sera payé automatiquement après environ 2 semaines.

En cas de problème, on reçoit en quelques secondes un message d'erreur avec un motif de refus :

- Patient non inscrit à l'assurance
- Médicament non couvert
- Médicament non autorisé à l'assurance (dans le cas de l'assurance publique surtout)
- Manque code d'exception
- Excédent car il existe un générique moins cher
- Mauvais médicament sélectionné dans le logiciel
- Etc.

Donc le refus est en direct ! On n'a pas à courir derrière le paiement par le patient car il doit payer si son médicament n'est pas couvert ou s'il y a un excédent. On ne va pas recevoir une lettre de refus quelques semaines plus tard après que le pharmacien ait avancé les frais. Tout cela quelques minutes à peine après que le patient nous ait donné son ordonnance et sa carte d'assurance ! C'est pas beau le tiers-payant quand c'est facile comme ça ? Par exemple, si le patient refuse un générique, l'excédent apparaît automatiquement et le patient doit payer s'il veut l'original (sauf si assurance privée qui couvre les princeps).

Bon j'avoue que nous n'avons pas à gérer la contrainte de paperasserie des médecins pour les divers formulaires. Mais on court après les codes d'exception par contre (souvent les médecins oublient de l'inscrire). Je ne décris pas non plus ici le tiers payant pour les autres professions de santé car je n'en connais pas leur fonctionnement. Mais qu'en pensez vous pharmaciens de France ? Pourquoi on ne développe pas en France un système interactif pouvant répondre en quelques secondes si le patient est bien inscrit à la mutuelle, si le prix du médicament est le bon... On est en 2015 et l'assurance médicament en France utilise encore les mêmes ressources depuis presque 15 ans pour son tiers-payant. En plus, en installant un système de réponse informatique en direct, on gagnerait beaucoup de temps que l'on pourrait rediriger vers un peu plus de pharmacie clinique non ?

J'espère que ce post vous a intéressé ! N'hésitez pas en cas de questions !
A bientôt :)

dimanche 8 mars 2015

Les honoraires en pharmacie

Une des grosses différences entre la France et le Québec est le mode de rémunération des pharmaciens ; contrairement à la France où le bénéfice provient de la marge réalisée sur chaque boîte vendue (ainsi que sur les 50 centimes par boîte rajoutés cette année), il existe au Québec un honoraire de dispensation.

Par exemple, lorsque je facture un médicament, mon logiciel indique les informations suivantes :


(notez que la somme astronomique ici n'est pas réelle !! on n'a jamais encore facturé un médicament à ce prix là). On voit s'afficher le prix du médicament (c'est-à-dire le coût du médicament lorsqu'on l'achète au fournisseur), plus un honoraire. Globalement (et de façon simplifiée car il existe des cas particuliers pour les génériques), le prix du médicament est son prix coûtant additionné de l'honoraire.

Comment est déterminé l'honoraire ? Les informations que je présence ici sont issues de l'Association des Pharmaciens Propriétaires du Québec :


Le prix du médicament inclut donc le coût de la substance, plus l'honoraire (qui correspond au service professionnel du pharmacien ainsi que pour couvrir les frais d'exploitation de la pharmacie). L'honoraire est fixe pour les patients assurés par le régime public d'assurance médicament, et variable pour les patients assurés par une assurance collective privée. 

Concernant les honoraires liés à l'assurance publique, les tarifs sont disponibles via le manuel de facturation destinés aux pharmaciens. Globalement, l'honoraire pour une ordonnance (c'est-à-dire une ligne de prescription ou un médicament) est d'environ 8-9 dollars pour un mois ; l'honoraire est modulée selon le nombre d'ordonnance annuel de la pharmacie et selon certains critères (médication chronique ou non, patient qui abuse de sa médication nécessitant un suivi important, patient devant prendre sa médication devant le pharmacien...). Donc par exemple, si un patient prend 10 médicaments, le pharmacien va toucher un honoraire d'environ 80-90 dollars. Il ne faut pas oublier que non seulement cet honoraire sert à payer le service, mais aussi le personnel technique qui prépare les médicaments (comptage des comprimés...). L'honoraire est plus élevé lorsqu'il s'agit d'une préparation magistrale ou d'une préparation stérile à reconstituer pour prendre en compte le temps technique nécessaire. L'assurance paye aussi le coût du médicament ; mais globalement, contrairement à la France où l'on a intérêt à vendre plus de boîtes, ce n'est pas le cas ici. Certes, plus il y a de médicaments sur la prescription, plus on touche d'honoraire ; mais si on vend 200 comprimés de paracétamol ou 50 comprimés de paracétamol, l'honoraire sera le même globalement. 

D'autres actes pharmaceutiques sont également facturables pour les patients qui sont affiliés au régime public : les opinions pharmaceutiques et les refus. Par exemple, si je refuse de dispenser un médicament en raison d'une interaction, d'une allergie, d'un antécédent d'effet secondaire, d'un surdosage ou sous-dosage... le pharmacien reçoit un honoraire de refus. Bien entendu, il est nécessaire de justifier notre refus au dossier du patient. 

L'opinion pharmaceutique est un acte réservé aux pharmaciens qui consiste à faire une proposition au médecin afin d'améliorer la thérapie médicamenteuse du patient, ou pour l'avertir d'un manque d'observance dans certaines pathologies sensibles (VIH, épilepsie...) avec l'accord du patient. 

Quelques exemples d'opinions pharmaceutiques pour illustrer :
  • Proposer au médecin de suspendre un traitement par potassium à un patient qui prend un IEC et de la spironolactone, et dont le diurétique de l'anse a été cessé il y a quelques jours.
  • Proposer de réduire une dose d'antihypertenseur chez une patient de 80 ans qui fait régulièrement des hypotensions et dont la pression artérielle est basse.
  • Proposer d'ajouter un médicament anticholinergique pour un patient qui se plaint de symptômes extrapyramidaux avec un traitement par neuroleptique.
  • Proposer l'ajout d'un beta-2 mimétique à longue durée d'action chez un patient asthmatique dont l'asthme est insuffisamment contrôlé par du salbutamol et une forte dose de glucocorticoïdes inhalés.
  • Proposer un changement de statine pour éviter une interaction par cytochrome.
  • Proposer de remplacer un IEC par un sartan chez un patient qui se plaint de toux chronique.
  • Etc.
La formation des pharmaciens est beaucoup plus clinique afin d'avoir un rôle de suivi de la thérapie médicamenteuse. Et réaliser un opinion pharmaceutique est un acte pharmaceutique reconnu par l'assurance publique. Les assurances privées en revanche ne couvrent pas ce type de service. 

Il existe également un honoraire lors de la dispensation de la pilule du lendemain pour "consultation pharmaceutique" ; au cours de cette consultation, le pharmacien doit évaluer la demande de pilule du lendemain, favoriser le bon usage et orienter la patiente vers les ressources appropriées si besoin.

En ce moment, un débat fait rage avec le gouvernement pour la couverture de nouveaux actes et services pharmaceutiques (prolonger une ordonnance, ajuster une ordonnance, prescrire un médicament lorsque qu'aucun diagnostic n'est requis ou en cas de condition mineure (acné modérée, herpès labial...)...). 


Les pharmaciens français devraient s'investir beaucoup plus à faire modifier le mode de rémunération plutôt que de multiplier la vente de produits divers et variés.